CONGRES
FNAREN
TOURS
- 08 JUIN 2013
C’est avec beaucoup d’émotion que je
suis ici au Vinci et dans ma ville, et je remercie l’AREN de m’avoir donné
l’occasion de me faire vivre à nouveau un moment fort de ma vie
professionnelle.
Il est vrai que je reste toujours proche
de vous, d’autant plus que j’ai participé à la formation des rééducateurs à Tours
pendant 35 années. Certains d’entre vous se souviennent peut-être encore de la
formation personnelle qui était une originalité de la formation du centre de
Tours.
Au cours de ma carrière, j’ai aidé
beaucoup d’enfants en difficulté plus ou moins grave à être mieux dans leur
peau, mieux à l’école, dans leur famille, enfin, je l’espère, mieux dans la
vie.
En fonction du thème du congrès
« Emotion, affect, apprentissage », je m’en tiendrai à des concepts
qui vous intéressent au premier chef quand il s’agit de l’enfant en difficulté
à l’école et je ferai référence à d’autres concepts qui soutiennent vos
pratiques. Ainsi, je vous proposerai la sécurité de l’enfant, la colère, les
peurs, ordinaires et primitives, l’angoisse, l’originaire dans la genèse psycho-affective,
l’affect, le désir, les rêves et les fantasmes, l’importance du plaisir dans le
jeu spontané et dans l’apprentissage.
A la fin, j’illustrerai mon propos
d’extraits d’une séance avec un enfant de 4 ans en grande difficulté à l’école
maternelle.
Au cours de mon intervention, je vous
proposerai de brefs arrêts pour échanger avec les collègues proches de vous.
La
sécurité affective, un véritable besoin comme celui de se nourrir, de se
mouvoir, de jouer, de communiquer
Le plus beau des cadeaux que les parents
peuvent offrir à leur enfant est l’affection, la tendresse et un cadre de vie
aussi régulier que possible afin qu’il vive un sentiment de sécurité
indispensable pour se développer dans les meilleures conditions et progressivement
s’ouvrir au monde de la réalité.
Dès la naissance, le bébé a besoin
d’être protégé contre les agressions internes et externes. Les parents aiment
leur enfant, aussi lui assurent-ils une qualité de soin et de présence qui se
répètent autant que faire ce peut en un même lieu, un même temps avec un même
rythme associé à des paroles ajustées au corps et aux émotions de l’enfant.
L’attitude attentive, les manipulations
régulières, les contacts, le regard, la solidité du soutien postural sont comme
des paroles de tendresse qui ouvrent la voie au dialogue tonico-émotionnel et à
la qualité des interactions.
Le bébé vit alors dans un cadre
maternant sécurisant qui lui permet de mémoriser des sensations agréables comme
des bons objets qui reviennent avec régularité par la qualité des interactions
tout en atténuant les sensations désagréables inévitables comme celles
d’attendre les réponses à ses besoins.
La mère, comme le père, malgré leurs
différences de tonicité, de contact, de regard, de voix, de rythmes, de soutien,
de paroles, assurent avec une certaine permanence les rituels de soins et de
présence affectueuse.
L’enfant s’autoritualise, il se vit
protégé de l’intérieur et aimé. Alors, il acceptera d’autant mieux et sans
crainte l’autorité des parents.
L’enfant en sécurité affective s’attache
à ses parents et s’en détachera d’autant mieux malgré des aléas toujours
possibles.
Plus tard, l’enfant appréciera que les
événements quotidiens, le réveil, la toilette, les repas, le coucher,
l’histoire avant de dormir, se déroulent selon certains rituels qu’il connait
et qu’il peut anticiper et dont il peut penser le retour pour atténuer des
peurs toujours possibles et surtout celles d’un non-retour.
Malgré ces rituels qui sécurisent
l’enfant, celui-ci demande toujours la sécurité donnée par l’autre car il est
parfois envahi par la peur de perdre ses parents, une peur vécue dans le corps
sous forme de tensions inhibitrices des fonctions somatiques et psychiques.
Lorsque les parents donnent à l’enfant
l’affection dont il a tant besoin pour se développer sans oublier l’autorité
(des règles de vie pour lui et les autres) : c'est-à-dire lorsque les
parents sont là pour lui dire « non », un « non » qui
contient ses pulsions et ses décharges émotionnelles excessives, l’enfant
trouve la confiance en lui-même parce qu’il a confiance en ses parents qui
l’aident à grandir. L’enfant se sent protégé, il est plus sûr de lui, il
progresse sans crainte dans la vie malgré les difficultés, voire des moments
douloureux, alors il n’a pas peur de s’éloigner de ses parents, d’aller vers
les autres, d’établir d’autres relations, de trouver d’autres plaisirs tels que
le plaisir de découvrir, d’apprendre le monde actuel, il est vrai si difficile
à vivre aujourd'hui.
Mais, si les parents ne donnent ni
l’affection, ou trop d’affection, ni l’autorité, ou trop d’autorité, l’enfant
ne trouve pas dans sa famille les supports rassurants, sécurisants nécessaires
à son développement : alors il régresse, agresse, oscille entre l’inhibition
et la révolte, et nous savons tous que ces manifestations d’insécurité peuvent
avoir des conséquences désastreuses sur le plan relationnel et cognitif.
Mais, alors l’école ne pourrait-elle pas
être un antidote à l’insécurité de l’enfant ? La sécurité affective de
l’enfant à l’école n’est-elle pas un prérequis basique autant que les prérequis
cognitifs nécessaires aux apprentissages ?
L’école ne pourrait-elle pas rendre
l’enfant disponible à la famille ? Mais, peut-être vais-je trop loin sur la
fonction de l’école ?
Un
enfant heureux à l’école
Un enfant pour lequel la sécurité
affective donnée par une famille qui l’aime, le comprend, le contient, ainsi
que celle donnée par la crèche et l’école est un enfant heureux. Cette sécurité
lui permet d’atténuer ses peurs et ses angoisses qui limitent son développement
et particulièrement celui des apprentissages scolaires.
Un enfant heureux à l’école, c’est un
enfant spontané, bien dans son corps, qui joue et qui peut exprimer ses
émotions sans retenue. C’est un enfant heureux de vivre qui affirme ses désirs
sans hésitation, sans culpabilité, c’est aussi un enfant qui vit le plaisir de
donner et de recevoir.
Un enfant heureux à l’école est un
enfant qui échappe à l’emprise des adultes tout en acceptant leur autorité,
nécessaire à son grandissement. C’est aussi un enfant qui a le désir de grandir
et de s’ouvrir à la réalité de la connaissance et du savoir. C’est un enfant
qui s’exprime avec facilité, qui communique avec ses pairs et les adultes sans
hésitation.
Enfin, un enfant heureux à l’école est
un enfant en quête de demande avec toutes les personnes de son entourage. Il
est curieux de tout découvrir et de tout savoir.
Il est toujours impatient de venir à
l’école pour apprendre, participer avec ses partenaires et retrouver
l’enseignant qu’il estime.
Un
autre besoin, exprimer ses émotions.
L’enfant exprime sans restriction son
bien-être ou son mal-être par des décharges tonico-émotionnelles. L’expression
émotionnelle est indispensable à son équilibre psychologique et à son
développement harmonieux, mais si l’enfant ne vit pas ses émotions, ne les
verbalise pas, il souffre et risque d’être « malade » de vivre. Il
est vrai que notre présence au monde est faite de sensations, d’émotions et
d’actions.
Je rappelle que les émotions sont issues
de l’histoire évolutive des espèces afin de faire face à des exigences vitales
comme la peur et la colère qui sont une réponse d’autoprotection face à un
environnement menaçant ou restrictif.
La
colère
La colère est une explosion émotionnelle
chez la fille comme chez le garçon dont nous connaissons tous les
manifestations.
La colère est assez banale, l’enfant
semble dépassé par ce qu’il ressent, par ce qui se passe en lui et qu’il ne
comprend pas. La colère lui permet d’exprimer momentanément son mal-être. La
colère lui permet de dévoiler son intériorité de sujet qu’il manifeste ainsi à
autrui et à lui-même. La colère est la manière d’être la plus authentique mais
aussi la plus difficile à accepter par l’entourage.
La colère n’est pas un état permanent
car elle est brève et donne l’apparence d’une crise interne, d’un coup de
folie, une crise interne en réponse à une crise externe, en réaction à une
répression ou à une menace de l’entourage, répression d’une action, répression
d’un plaisir à vivre immédiatement, et peut-être une crise insuffisamment
comprise de la part des parents et des éducateurs. La colère est une émotion
vraie issue d’un rejet visant autrui comme un mauvais sujet à éliminer.
La colère s’atténue vers 4 ou 5 ans par
la maturation des lobes préfrontaux du système nerveux central, mais perdure
chez d’autres enfants insécurisés. Elle s’atténue lorsque les enfants maîtrisent
le langage et trouvent les paroles pour exprimer leur mécontentement.
La colère saurait-elle être salutaire ?
Oui, s’il s’agit de colères brèves et
peu fréquentes. En effet, une décharge émotionnelle est toujours accompagnée
d’une réduction de tension tonique libérant la musculature des organes de la
vie végétative et celle de la vie des organes de la relation. La colère apaise
le corps et la pensée. La décharge émotionnelle signifie l’authenticité de
l’enfant d’être avant tout un être d’émotions, c’est une manière pour lui
d’exister, certes violemment mais d’exister et de ressentir intensément son
environnement.
Alors, nous devrions nous inquiéter si
l’enfant n’exprime aucune colère face à la frustration de l’adulte : cette
rétention émotionnelle risque d’avoir de graves conséquences somatiques ainsi
que de graves conséquences psychologiques : blocages de la pensée
imaginaire, de la pensée cognitive et du raisonnement logique ainsi que la
limitation de l’expression verbale. La rétention émotionnelle peut être
destructrice.
Par la colère, l’enfant touche, bouscule
les parents pour obtenir une réponse en sa faveur. C’est une manière de les
attaquer. La colère n’est-elle pas alors une manière violente très particulière
de provoquer la communication ? Ne serait-elle pas un moyen pour l’enfant
de capter l’attention des parents et de leur dire :
« J’existe. ». C’est peut-être là le paradoxe de la colère. Elle
semble séparer les uns des autres alors qu’elle les rapproche, elle semble
couper l’enfant de son environnement alors qu’elle permet une compréhension
vive, à chaud du monde externe à son égard. La colère est peut-être aussi un
appel à la fermeté, au besoin d’être contenu. Enfin, la colère ne serait-elle
pas un appel à être mieux écouté, à être plus attentif à lui ? N’est-ce pas
une manière de dire : « J’ai besoin de vous. »
Il semble que les colères chez certains
enfants d’aujourd'hui soient plus fréquentes, plus intenses et surtout se
prolongent bien au-delà de la 5ème année. Fait nouveau, elles se déclenchent
non pas face à la frustration mais à propos de n’importe quel fait qui nous
semble dérisoire. « C’est la goutte qui fait déborder le vase. »
Ces colères répétées violentes face à
des faits dérisoires se rencontrent principalement chez des enfants fragiles,
c'est-à-dire insécurisés pour ne pas avoir vécu les premiers repères stables au
cours de la petite enfance.
La
peur
Tous les enfants, tous les individus
vivent la peur, il s’agit d’une réaction normale qui surgit en présence d’un
objet dangereux, d’une situation dangereuse ou d’une pensée qui évoque le
danger d’être attaqué dans son intégrité corporelle et psychique. La peur est
donc une réponse vitale à un évènement menaçant, elle est une émotion
intensément vécue qui mobilise, comme la colère, des ressources
neurovégétatives (décharge d’adrénaline, augmentation de la fréquence
cardio-vasculaire, du rythme respiratoire, de la tension artérielle, du tonus
musculaire, de la consommation de glucose) et provoque une intense activité
biologique.
La peur survient par surprise, dans ce
cas, elle inhibe les facultés de penser ou survient dans l’attente et dans ce
cas elle stimule les représentations mentales liées à ce mauvais objet qui crée
la peur.
La peur est une décharge
tonico-émotionnelle douloureuse qui déstabilise la personne en devenir de
l’enfant, et lui fait perdre ses capacités d’adaptation à l’entourage. La
réaction face à la peur pour échapper au danger est soit la fuite soit
l’immobilisation (la peur glace, pétrifie le corps et la pensée).
La peur mobilise donc des actions d’autoprotection
en éloignant un événement menaçant. En ce sens, la peur a un aspect salutaire
évident, alors on peut s’interroger si on se trouve face à un enfant qui n’a
jamais peur !
Sans la peur, l’espèce humaine
existerait-elle aujourd'hui ?
L’enfant vit des peurs que nous
connaissons tous : la peur d’une personne inconnue, la peur de
l’obscurité, la peur de la nouveauté qui déstabilise les repères de sécurité,
la peur de rester seul, la peur du médecin, la peur des animaux, la peur d’être
agressé. Ce sont des peurs ordinaires pour chaque enfant, cependant des parents
attentifs et sensibles aux émotions de leur enfant sont à coup sûr les meilleurs
agents pour le sécuriser en lui donnant les moyens de se réassurer, en lui
donnant la possibilité de se sécuriser lui-même par la découverte du plaisir de
jouer, de parler la peur, voire même de la ridiculiser.
Il est vrai que pour se sécuriser de
situations quelquefois douloureuses, l’enfant les joue et les rejoue avec
insistance. La distance émotionnelle est prise par la représentation corporelle
des faits réels.
Précocement, l’enfant est capable de
transformer la réalité vécue pour se protéger et se sécuriser par la magie du
plaisir de jouer. La plupart des enfants en sont capables, mais d’autres
tardent à trouver un tel processus de sécurisation, alors ils perdurent dans l’émotion
de la peur sans pouvoir la dépasser.
Des
peurs primitives
Au cours des premières années, l’enfant
vit des moments difficiles à cause de ses peurs et de son insécurité affective.
J’ai évoqué la peur de l’obscurité qui éveille des images fantasmagoriques, la
peur d’être abandonné qui naît précocement à partir du moment où le bébé vit la
perte de l’attachement à la mère, la peur de la nouveauté qui déstabilise ses repères
de sécurité, mais en deçà de ces peurs ordinaires, le bébé est dès les premiers
mois soumis à des peurs primitives
qui peuvent avoir :
soit de graves conséquences sur son développement futur si celles-ci ne sont pas suffisamment contenues ,
soit avoir des conséquences tout à fait positives si celui-ci vit une enveloppe maternante protectrice de qualité qui le protège des agressions internes et externes, conséquence positive lui permettant de développer toutes ses fonctions dans les meilleures conditions.
soit de graves conséquences sur son développement futur si celles-ci ne sont pas suffisamment contenues ,
soit avoir des conséquences tout à fait positives si celui-ci vit une enveloppe maternante protectrice de qualité qui le protège des agressions internes et externes, conséquence positive lui permettant de développer toutes ses fonctions dans les meilleures conditions.
En effet, le bébé risque de vivre des
peurs envahissantes, tenaces s’il est insuffisamment protégé contre des
agressions internes et externes par son environnement. Il se sentira menacé lorsqu’il
a faim ou soif, lorsqu’il a trop chaud ou froid, lorsqu’il doit attendre d’être
soulagé, menacé par des manipulations brusques et répétées, quelquefois
violentes, par des contacts agressifs, des bruits excessifs ou bien se sentira
menacé par l’absence de solidité d’un soutien, alors il risquera d’éprouver la
peur de tomber dans le vide et de se désunir.
Si le bébé vit la répétition de cette
« maltraitance », tout son corps est en tension excessive, des
tensions douloureuses de toutes les fonctions corporelles développées et en
voie de développement, ces tensions douloureuses sont vécues comme une
agression interne continue, un agresseur corporel non identifié. Cet état
tensionnel permanant des premiers mois est à l’origine d’un état permanent de
peur, se manifestant par des pleurs, des gesticulations excessives, le refus de
s’alimenter, et voire des insomnies. Ce sont là, des faits d’avertissement d’un
dysfonctionnement du principe de plaisir, d’une souffrance psychique à venir.
Ainsi, au cours des premiers mois, le
bébé risque de vivre un état permanent de tension corporelle à l’origine d’une
intense angoisse-tension.
L’angoisse-tension est un
concept qu’il est nécessaire de mettre en évidence comme étant l’angoisse de
tous les dangers ou l’angoisse de tous les espoirs.
L’angoisse-tension,
l’angoisse de tous les dangers
En effet, l’intensité de l’angoisse-tension
est à l’origine des angoisses archaïques de perte du corps, telles que les
angoisses de chute, de morcellement, d’éclatement, de liquéfaction qui
aggravent l’apparition de l’unité du corps et limitent largement le
développement des fonctions instrumentales (sensation, tonicité, motricité,
équilibration, latéralisation).
D’ailleurs, on est en droit de penser que
les troubles psychosomatiques (troubles digestifs, respiratoires) renvoient
presque toujours à des angoisses des premiers mois qui n’ont pas été dépassées.
Les somatisations du jeune enfant, voire de l’adulte, seraient-elles alors des
voies de résolution des tensions excessives du corps ?
L’angoisse-tension qui perdure, induit
l’échec d’une dynamique de plaisir, ayant pour conséquence de limiter gravement
les formations psychologiques futures (affects, désirs, rêves, fantasmes) comme
je l’évoquerais plus avant. Dans ce cas, c’est le corps agitation qui
fonctionne.
A ce
propos, il est important de rappeler que le développement instrumental,
affectif, cognitif et intellectuel dépend d’un vécu narcissique à une période
de développement de l’enfant où celui-ci est encore indifférencié, et où s’ébauche
son individuation (vers 6/8 mois). Ainsi, toute perturbation à cette période
risque de retentir en même temps sur les aspects instrumental, affectif,
cognitif et intellectuel, et avoir des conséquences futures graves dans tous
ces aspects à la fois.
L’échec
d’un vécu narcissique de plaisir risque d’être catastrophique pour le devenir
de certains enfants. C’est le cas de ces enfants atypiques, dans le cadre
scolaire, qui ont besoin alors d’une aide soutenue. C’est le cas des enfants
qui ont vécu dès la naissance, voire même avant de naître, une carence d’interactions
précoces à cause d’un entourage absent, brutal, rejetant voire intrusif.
Et,
j’insiste : ce sont les perturbations au niveau du corps en relation (la
carence des interactions précoces qui constituent le dénominateur commun de
tous les blocages du développement de l’enfant). Ce qu’il convient de retenir,
c’est le lien entre les traumatismes d’un vécu précoce et le blocage des
fonctions instrumentales, le blocage de la capacité à symboliser et l’échec des
premiers apprentissages scolaires.
Ces enfants qui ont vécu la faillite de
leur environnement, dont les interactions ont été si pauvres, sont dominés par
des tensions internes douloureuses, ils sont plein de rage et de colère et
risquent d’être violents sadiques et persécuteurs, leur haine envers l’adulte
est supérieure à leur amour, le mauvais objet interne est plus fort que le bon
objet, l’affect de déplaisir est plus fort que l’affect de plaisir.
L’ambivalence affective de ces enfants est intense, ils sont envahis par la
recherche d’un lien d’amour, aussi peuvent-ils s’attacher affectivement, sans
retenue, à certaines personnes et soudainement les agresser, les insulter comme
s’ils désiraient les détruire. Comment peuvent-ils dans ce cas, vivre la
sécurité nécessaire à une approche sereine de la réalité, de la connaissance et
du savoir.
Je crois que vous connaissez assez bien
ces enfants.
La peur primitive permanente qui
actualise l’angoisse-tension, dans le présent, qui taraude ces enfants, est à
l’origine de la peur d’être abandonné issue de la séparation avec le parent. La
peur de l’abandon est vécue aussi dans le corps comme un autre état tensionnel,
comme un autre danger, celui d’être « laissé tomber affectivement ». Nous
n’imaginons pas les douleurs, les souffrances que peuvent vivre certains
enfants. Bien heureusement, ils restent l’exception.
Qu’en est-il de l’angoisse-tension de
tous les espoirs ?
L’angoisse-tension
de tous les espoirs
En effet, les parents, par leur attitude
attentive, répondent le plus justement possible aux besoins de l’enfant et à sa
sécurité affective. Ainsi, au cours de la période archaïque de son
développement, celui-ci vit des
expériences primaires agréables vécues en relation avec les parents, telles
que des sensations végétatives agréables liées à la nutrition, à l’évacuation
ou encore des sensations proprioceptives comme le bercement, le portage dans
les bras, le déshabillage, les caresses. Ces expériences primaires libèrent la
dopamine, l’hormone cérébrale du plaisir ; mais l’enfant vit aussi des expériences primaires désagréables inévitables
dues à l’attente des soins, à des douleurs digestives, à des positions
douloureuses, à des mouvements trop brusques, des vêtements trop serrés, des
contacts corporels trop appuyés, il vit alors un certain degré d’angoisse-tension.
Malgré l’attitude attentive des parents,
perdure un degré d’angoisse mais qui
s’avère nécessaire au développement psychologique de l’enfant. Il s’agit d’un
degré d’angoisse qui crée une dynamique de recherche, de résolution pour
dépasser les tensions du corps.
En effet, les expériences primaires
agréables et désagréables sont engrammées car elles correspondent à des modifications
neurobiologiques et hormonales cérébrales. Ces expériences engrammées forment « la
mémoire implicite ».
Cette mémoire est très sollicitée par
l’enfant car elle est à l’origine des affects de plaisir, des affects de
déplaisir, des désirs, des rêves et des fantasmes archaïques issus des
expériences corps à corps vécues et partagées avec l’objet maternant.
L’enfant pour s’abstraire de
l’angoisse-tension, source de douleurs et de souffrances, imagine, invente à
partir de ses sensations agréables vécues avec autrui, le plaisir, le désir, le
rêve, le fantasme, une large dimension psychoaffective.
Ainsi :
l’affect
de plaisir est une énergie positive issue d’une sensibilité organique végétative
et proprioceptive partagé avec l’objet maternant. De ce fait, l’affect de plaisir
garde son aspect pulsionnel et relationnel (la pulsion orale, la pulsion
motrice).
L’affect de plaisir renvoie à la genèse du psychisme. Le plaisir ouvre au monde, alors que l’affect de déplaisir ferme cette ouverture.
L’affect de plaisir renvoie à la genèse du psychisme. Le plaisir ouvre au monde, alors que l’affect de déplaisir ferme cette ouverture.
le
rêve comme production métaphorique est nécessaire à l’éloignement de la douleur
et de la souffrance.
le
désir est désir de renouvellement de plaisir. Il est aussi désir de grandir (un
concept trop oublié).
c’est
à partir du désir de plaisir que l’enfant se constitue des scénarii
imaginaires : les fantasmes archaïques.
- fantasmes
issus de l’oralité, du contact, tels que les fantasmes d’incorporation, de
dévoration, de destructivité, de fusionalité, d’omnipotence.
- fantasmes
issus de la mobilisation du corps dans l’espace tels que ceux d’oscillation de
giration, d’élévation, de chute, d’immobilisation, de rythmes
Autant
de fantasmes que l’enfant agira dans la réalité d’une manière pulsionnelle et
répétitive par le jeu spontané comme puissant processus de réassurance profonde
L’enfant est donc créateur d’une vaste
création originaire qui formerait selon certains psychanalystes
« l’inconscient originaire non refoulé ».
L’enfant est créateur de ses pensées imaginaires,
à l’origine de la pensée permettant plus tard de se penser et de penser le
monde.
Cette source originaire donne une place
prépondérante à l’expressivité du corps, au jeu créatif et spontané de
l’enfant, à la création artistique de l’adulte comme le dessin, la peinture, la
sculpture, la danse, le rythme, le chant. Cette création de l’adulte est source
d’un plaisir pulsionnel sans limite où le mouvement, le rythme, la voix et tous
les matériaux de la création sont les satisfactions sensuelles qui apaisent
l’angoisse. Cette expressivité du corps sur fond de fantasmes archaïques est
source de représentation de soi, de symbolisation d’événements lointains, ils
sont des moyens de sécurisation, de réassurance profonde qui ouvrent la voie à
d’autres développements.
Il est possible maintenant d’avancer que
l’angoisse-tension est le catalyseur qui facilite la transformation du besoin
biologique satisfait - du biologique humanisé - en affect de plaisir,
en désir et en fantasme. On peut dire que l’angoisse fonde l’humain. Ainsi, l’angoisse-tension
est-elle dépassée, apaisée et ouvre-t-elle la voie à l’énergie du plaisir qui
favorise le développement psycho-affectif, cognitif et instrumental du jeune
enfant.
Mais, l’angoisse-tension risque de ressurgir et de
s’intensifier lorsque l’enfant vit un grave choc émotionnel, drame, rupture familiale,
abandon affectif anéantissant l’énergie du plaisir et bloquant tous les aspects
du développement somatique et psychique. C’est, je crois, le cas de nombreux enfants
que vous aidez.
A partir des propos précédents, il est
possible alors de concevoir des pistes d’aide à l’enfant qui souffre à la condition
de se souvenir : que l’affect n’apparait que si des représentations du
passé, l’originaire, ressurgissent au travers de la symbolisation de fantasmes
issus du corps, comme la dévoration, la destructivité, la persécution, la fusionalité,
l’omnipotence et la mobilisation du corps dans l’espace. Toutes ces symbolisations
permettent à l’enfant d’évacuer ses peurs primitives, sa souffrance et de
libérer l’énergie de l’affect de plaisir.
Mais, comment favoriser la résurgence de
l’originaire ?
Les résonances tonico-émotionnelles
réciproques existent dans la relation d’aide à l’enfant, celles-ci doivent
vivre car elles sont la condition de l’émergence de l’originaire c'est-à-dire
des fantasmes archaïques. Toute implication corporelle, émotionnelle, partagée
avec un enfant libère l’affect de plaisir de la période originaire.
Il n’y a pas d’aide possible pour
l’enfant qui souffre, sans un vécu émotionnel partagé avec le spécialiste de
l’aide.
Le
jeu spontané de l’enfant est un vrai besoin
Le jeu spontané est la forme d’expression
privilégiée de l’enfant et simultanément un puissant processus de réassurance
profonde car ce qui est exprimé dans le jeu créatif et spontané est toujours
quelque chose du passé, de l’enfance, de l’originaire.
De ce fait, on peut dire que l’enfant
qui joue est joué par son originaire.
Jouer librement est vital pour l’enfant
car jouer, c’est vivre un plaisir compulsif de la représentation de soi, de la
symbolisation, un plaisir compulsif de la répétition, jouer pour l’enfant,
c’est vivre une étape psychologique de son développement avant que celui-ci ne
s’installe dans le monde de la réalité des adultes.
Alors, ne le précipitons pas dans des
exigences qui ne correspondent pas à sa maturation affective, car il doit
épuiser son omnipotence magique pour se sentir en sécurité et être prêt à
opérer. Observons-le jouer avec beaucoup d’attention pour le penser et partageons
avec lui le plaisir qu’il vit lorsqu’elle ou il :
se
balance au bout d’une corde, roule, chute, saute, glisse, grimpe,
s’enveloppe
dans un tissu, se cache dans un coffre,
lorsqu’elle
ou il est cavalier, conducteur, guerrier, danseuse, chanteuse princesse, papa,
maman, bébé,
est
loup, crocodile, dragon, sorcière, le héros omnipotent du dessin animé,
lorsqu’elle
ou il construit, détruit, dessine, joue avec les mots.
Tous ces jeux sont des jeux symboliques
qui apparaissent spontanément dans la pratique d’aide.
Ainsi, je conçois que la pratique d’aide
réside fondamentalement dans le recherche du plaisir amalgamé à des
représentations imaginaires, plaisir qui a fait tant défaut à l’enfant et a
limité très précocement une dynamique d’investissement affectif
des productions les plus sensorielles, corporelles et intellectuelles.
Alors, spécialistes de l’aide à
l’enfant :
Laissons-nous aller à notre propre
sensibilité émotionnelle, à notre attitude chaleureuse d’accueil et
d’accompagnement qui transforment la souffrance de l’enfant parce que les
personnes qui aident ne sont pas comme les autres.
Laissons-nous aller à notre propre
plaisir d’être là pour l’enfant, pour lui, mais pas avec lui, en oubliant tout
de lui, de son histoire familiale douloureuse et scolaire.
Laissons-nous aller à jouer sans aucune
arrière-pensée d’aide cognitive, mais est-ce possible de vivre cette liberté
dans une institution qui risque de vous presser par ses exigences ?
Aider un enfant qui souffre demande de
la part du spécialiste de l’aide de se vivre libre, sans culpabilité d’être
loin de l’apprentissage, mais au plus près de l’enfant. Aider un enfant qui
souffre demande de ne pas rechercher son changement car moins nous le
rechercherons, plus le changement arrivera, et l’enseignant vous dira :
« Qu’avez-vous
fait ? Il s’intéresse, il parle, il est un autre enfant, un autre élève. »
Et pour
conclure,
Au congrès de Reims, il y a cinq années,
j’avais déjà évoqué l’affect de plaisir de l’enfant comme étant un facteur qui
accroit le désir de l’élève d’apprendre et rend l’apprentissage plus efficace.
Je martèle toujours ce principe depuis
des dizaines d’années, et aujourd'hui mon propos n’a pas changé. Cependant, il
ne suffit pas de décréter « plaisir d’apprendre » car si le plaisir
d’apprendre est conditionné à l’action, à l’expérience, à la création, à la
recherche individuelle et collective en deçà de ces conditions pédagogiques, le
plaisir d’apprendre est conditionné à une relation, celle d’être estimé par
l’enseignant, d’être reconnu dans ses potentialités et ses compétences même les
plus réduites. L’enfant découvre le plaisir d’apprendre si l’enseignant
apprécie, stimule ce que celui-ci sait faire et s’abstient de mettre en
évidence ce qu’il ne sait pas faire.
Le plaisir d’apprendre suppose donc une
pédagogie centrée sur l’enfant afin que celui-ci soit au centre du dispositif
éducatif (une idée qui a disparu aujourd'hui) soutenu par une enseignante, un
enseignant de qualités personnelle et professionnelle indiscutables.
Au centre du dispositif éducatif, utopie
me direz-vous ? Non, il s’agit d’un choix de formation philosophique,
psychologique et pédagogique, tout simplement un choix humain pour un devenir
plus harmonieux des enfants à l’école.
www.revistadepsicomotricidad.com agradece públicamente al Señor Bernard Aucoturier por enviar este artículo, para nuestro espacio, desde Francia. Valoramos su ayuda y colaboración.